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Télécoms : la difficile modernisation des centres d'appels

Sur un marché homogène et tiré vers le bas, les opérateurs cherchent à faire la différence en digitalisant leurs services clients.

Longtemps vus comme un centre de coût et non de valeur, les opérateurs commencent à digitaliser leurs centres d'appels.
Longtemps vus comme un centre de coût et non de valeur, les opérateurs commencent à digitaliser leurs centres d'appels. (Shutterstock)

Par Raphaël Balenieri

Publié le 18 févr. 2019 à 16:22Mis à jour le 19 févr. 2019 à 10:14

Assise à son bureau, casque téléphonique sur la tête, Sandra, la petite quarantaine, prend au fil de l'eau les appels émis par les 19 millions de clients de Bouygues Telecom. A Saint-Pierre-des-Corps, une petite commune près de Tours où se trouve l'un des six centres d'appels métropolitains de l'opérateur, 232 autres télévendeurs répètent comme elle le même geste à travers les étages. En moyenne, chaque conseiller gère 40 appels par jour. Chacun dure huit minutes.

Clins d'oeil à la météo ou à sa propre situation familiale, petites pointes d'humour, politesse de rigueur… L'empathie et le naturel de Sandra tranchent avec l'image stéréotypée du téléconseiller « robotique » prenant les appels à la chaîne. Pourtant, son métier s'est lui aussi beaucoup digitalisé, à la faveur d'un grand mouvement de modernisation dans les centres d'appels des télécoms. En 2020, selon Gartner, 85 % des relations entre les entreprises et leurs clients (tous secteurs confondus) seront gérées par des machines.

Routage affinitaire

Chatbots, routage « affinitaire », intelligence artificielle : pour se démarquer sur un marché de plus en plus homogène et tiré vers le bas, avec des offres fixe et mobile à prix cassés, les opérateurs télécoms essaient à présent de faire la différence avec de meilleurs services clients.

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La digitalisation doit permettre de réduire le nombre d'appels, leur durée, et d'augmenter le taux de résolution. Elle doit aussi permettre de mieux retenir les abonnés tentés de partir vers la concurrence. De proposer des offres plus onéreuses (« up-sell ») ou couplées (« cross-sell »). Les opérateurs expliquent que les abonnés attendent désormais une même qualité de service, peu importe le canal (boutique, téléphone, application, chatbot), et veulent eux-mêmes être plus autonomes. Du moins pour les tâches les plus simples : changement d'adresse, de RIB…

Bouygues a par exemple installé un nouveau serveur qui, grâce à la reconnaissance vocale, identifie automatiquement l'objet de l'appel et le dirige ensuite « par thématiques » vers le bon agent. Le logiciel, conçu par l'américain Salesforce, affiche également les meilleurs forfaits téléphoniques correspondant au profil de l'abonné. Les 4.000 téléconseillers de Bouygues Telecom n'ont ensuite plus qu'à en faire la promotion de vive voix lors de l'appel.

L'opérateur de Martin Bouygues expérimente aussi la solution d'Afiniti sur les appels à plus haute valeur ajoutée. Cette start-up américaine utilise un algorithme pour mettre en relation un client avec le téléconseiller le plus susceptible de « bien s'entendre » avec lui, ou le plus à même de répondre à sa demande. A la clef, une augmentation de 4 à 6 % du revenu pour les opérateurs télécoms qui utilisent cet outil, selon Afiniti.

Grâce à ces solutions, Bouygues Telecom dit avoir réduit d'un tiers le nombre d'appels reçus en quatre ans. Aujourd'hui, l'opérateur gère encore 2 millions de coups de fil par mois. Soit autant que SFR mais moins qu'Orange, avec 2,5 millions. Free, de son côté, ne communique aucun chiffre sur ce sujet sensible pour les opérateurs. L'an dernier, le groupe a essuyé une polémique sur les pratiques sociales au sein de l'un de ses centres d'appels à Colombes , Mobipel, qu'il a depuis cédé au spécialiste italien Comdata.

Schématiquement, le service clients peut être réalisé en interne ou - et ce n'est pas toujours très bien perçu par les salariés - en externe par des prestataires comme Intelcia , le géant marocain du service clients (25 call centers dans 8 pays) qui gère depuis peu 65 % du service clients de SFR, par exemple. Les opérateurs peuvent également panacher. C'est le cas de Bouygues Telecom, qui travaille aussi avec des prestataires à Madagascar et au Maghreb.

Détecter l'état émotionnel

« L'étape ultime, ça sera la compréhension en temps réel de la conversation par l'intelligence artificielle, ce qui permettra de pousser les bons outils au bon moment. Les attentes des clients évoluent : pas d'attente, réponses personnalisées, solutions immédiates. Les conseillers doivent faire toujours plus, il faut donc les aider, explique Alain Angerame, directeur de l'expérience client chez Bouygues Telecom. Par ailleurs, la relation client fait un retour en force dans les télécoms.Après l'arrivée de Free sur le mobile en 2012, le prix est devenu l'unique étalon de mesure du marché. Mais, aujourd'hui, il y a clairement le besoin de retrouver de la différence. »

A terme, certains envisagent même des technologies qui permettront de détecter l'état émotionnel (colère, déception, frustration…) de l'abonné. Science-fiction ou pas, ces innovations sont en tout cas en train de transformer un métier difficile, décrié et qui a peu changé ces dernières années. « Le fameux 'taper 1', 'taper 2' des serveurs vocaux a longtemps été l'alpha et l'omega de la relation client », témoigne Romain Sambarino, PDG et fondateur d'Allo-Media. Cette start-up française utilise l'intelligence artificielle pour retranscrire automatiquement le contenu des conversations qui, autrement, disparaît le plus souvent dans la nature une fois l'appel terminé. « Avec Afiniti, nous avons cassé le concept du premier arrivé, premier servi », raconte de son côté Jérôme de Castries, le directeur France de la société.

Expérimentations

Les sommes consacrées à la digitalisation des services clients sont certes encore modestes par rapport aux acquisitions dans les contenus (droits du foot, etc.) ou aux investissements dans la fibre optique ou la 4G. L'heure est encore à l'expérimentation. Ces outils sont nouveaux, parfois coûteux et sont souvent difficiles à intégrer sur des plates-formes informatiques plus anciennes.

« Les opérateurs télécoms ont de gros centres d'appels, ce qui signifie potentiellement de gros retours sur investissements. Mais comme ils ont aussi de solides organisations, ils pensent souvent qu'ils peuvent développer ces outils eux-mêmes et, au final, ils se perdent dans les détails », regrette aussi Scott Wickware, directeur de la division entreprise chez Nuance, le spécialiste américain de la retranscription vocale qui travaille notamment avec Orange, Telefonica, AT&T, Vodafone ou l'australien Telstra.

Raphaël Balenieri (A Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire))

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